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« Convoquée par l’extrême gauche française et par la lutte armée arménienne, la figure de Missak Manouchian est porteuse de plusieurs histoires »

Résistant, membre des FTP-MOI [francs-tireurs et partisans-main d’œuvre immigrée] luttant contre l’Allemagne nazie, Missak Manouchian a été exécuté le 21 février 1944 avec d’autres partisans. Sa figure cristallise des enjeux historiques et mémoriels qui semblent ne jamais s’épuiser. En effet, elle représente un modèle arméno-français de circulation de lutte présente au sein de l’espace protestataire français des années 1960-1970, alors en pleine recomposition.
Elle est ainsi recyclée par des groupes d’extrême gauche français. L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) choisit la date du 21 février 1968 pour manifester son soutien au peuple vietnamien. Dans la nuit du 13 au 14 mai 1971, la Nouvelle Résistance populaire (NRP), branche armée clandestine des maoïstes de la Gauche prolétarienne, signe son action contre le journal d’extrême droite Minute du nom « groupe Manouchian ».
En février 1972, le journal de la Gauche prolétarienne (GP), La Cause du peuple, fait référence à Manouchian, dont le portrait est brandi lors de la manifestation du 25 février à Charonne, après la mort du militant Pierre Overney, tué par un vigile. Les militants de la GP se posent en nouveaux partisans, héritiers du combat antifasciste, et défendent alors la cause des immigrés et la cause palestinienne, nouveau front de lutte anti-impérialiste.
Quelques années plus tard, dans le contexte de la lutte armée arménienne contre les représentants de l’Etat turc à travers le monde, dans la nuit du 14 au 15 mai 1977, la Nouvelle Résistance arménienne (NRA) signe son acte contre l’office national du tourisme turc à Paris du nom « commando Missak Manouchian ».
Figure alors connue de la communauté arménienne, son usage par l’extrême gauche française est large. Sa réappropriation par les Arméniens de la NRA est double. Ils mobilisent celle du résistant, luttant contre l’Allemagne nazie, en France.
Reconfigurée près de trois décennies plus tard, cette lutte permet de légitimer la résistance contre la Turquie. Ils réintègrent ainsi la figure de Manouchian à « leur » histoire, celle des Arméniens luttant contre le pouvoir autoritaire et répressif de l’Empire ottoman, par les actions de fédaïs, combattants armés, à la fin du XIXe siècle. Ce faisant, ils contribuent à redonner une épaisseur historique au rescapé du génocide des Arméniens. Ils s’inscrivent ainsi dans une dynamique de résistance conjuguée, arménienne et française.
La figure de Manouchian circule ainsi dans le temps et entre les mondes en lutte. Convoquée par la strate combative de l’extrême gauche française, en forme d’ombre portée et mise en avant par la lutte armée arménienne des années 1970-1980, elle est porteuse de plusieurs histoires : celle du résistant, français et arménien, et celle du rescapé du génocide des Arméniens. Sa panthéonisation le 21 février 2024 permet de renouer ces multiples histoires.
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