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Son enfance difficile puis son ascension en tant que pâtissier ont déjà fait l’objet de deux livres et un film. A 32 ans, le Champenois Yazid Ichemrahen possède huit pâtisseries dans le monde et 1,6 million d’abonnés sur Instagram.
« J’adore les parfums. Quand j’ai du temps libre, je vais sentir des fragrances, je discute avec les vendeurs. Le métier de parfumeur ressemble à celui de pâtissier : il faut sélectionner des matières premières pour parvenir à une création avec des notes de tête, de cœur et de fond. En arrivant au Royal Monceau, je voulais réaliser une tarte aux fraises, mais je ne trouvais pas la bonne idée. C’est en sentant Rose Chérie de Guerlain au duty free d’un aéroport que j’ai eu une révélation : fraise, amande amère, hibiscus, rose, framboise. C’était ces notes qu’il fallait pour la tarte.
Après une quinzaine d’essais, on a abouti à ce sablé kipferl alsacien à base de poudre de noisettes. Je fais attention à ce qu’il y ait de la mâche car c’est comme ça qu’on crée de l’émotion dans un gâteau. Il y a 10 % de beurre en plus que dans une pâte sucrée ordinaire, car qui dit beurre dit longueur en bouche. Je ne suis pas de cette catégorie de pâtissiers qui fait tout son marketing sur l’idée de désucrer. Et puis, l’ensemble reste léger : pour 2,5 centimètres de sablé, il doit y avoir 100 grammes de fraises. On met aussi de la crème fermière à base d’amandes amères, un voile fraise-framboise infusé à l’hibiscus. Et une sauce fraise légèrement citronnée à la rose.
Quitte à passer parfois pour un savant fou, j’essaie de ne rien faire par hasard. La recherche de goûts est millimétrée, le service aussi. Quand vous commandez ce gâteau au Royal Monceau, c’est un pâtissier qui sort de sa cuisine pour vous servir. Il vaporise le parfum Guerlain sur votre serviette, qu’il recommande de sentir avant et pendant la dégustation. S’il vous sent réceptif, il vous parlera de son travail, de la recette, des produits. L’explication n’intéressera peut-être pas 80 % des clients, mais dans les 20 % restants, elle en marquera certains.
Ce qui me passionne, ce n’est pas seulement de créer un dessert, mais d’offrir une expérience unique. Ici, j’aimerais que le client soit en connexion avec un pâtissier qui s’est levé à 4 heures du matin pour faire son gâteau, et qui arrive peut-être avec sa veste tachée. Je ne voulais pas venir au Royal Monceau et faire juste une pâtisserie technique, mais faire ressentir une partie de mon cœur, de mon âme, de mon histoire.
La pâtisserie m’a sauvé la vie. J’ai grandi entre un foyer et une famille d’accueil. Ma mère était alcoolique, droguée et prostituée. J’ai fait plein de conneries, je suis passé par la délinquance et, à 15 ans, le juge des enfants m’a proposé une formation ou la prison. Je me suis dit : “Allez, pâtisserie !” Au foyer, j’ai cherché sur Internet “meilleur pâtissier au monde”, et le référencement m’a indiqué Pascal Caffet, à Troyes. Je me suis formé chez lui, puis j’ai travaillé avec Angelo Musa, chez M. Robuchon à Monaco. J’ai fait des concours, que j’ai remportés.
Ce qui me motive, aujourd’hui, c’est cette sécurité que la pâtisserie m’a donnée. Il y a dix ans, je me disais : soit je ferai des projets extraordinaires, soit je serai mort. Travailler, je ne fais que ça. Je vous mentirais en disant que tout ça me rend réellement heureux. Mais la pâtisserie, c’est ma drogue à moi. »
Sentir un parfum et manger en même temps n’est pas du goût de tout le monde. Mais le rituel du « pschitt » sur la serviette n’est pas trop invasif, et on peut se concentrer sur cette très bonne tarte, finalement moins complexe qu’elle n’en a l’air : l’amande et l’hibiscus sont discrets, l’abondance de fruits frais la rend légère.
Tarte aux fraises, 25 euros. Le Royal Monceau-Raffles, 37, avenue Hoche, Paris 8e. leroyalmonceau.com
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Elvire von Bardeleben
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